44.
Un peu de répit
Fort de ce qu’il venait d’apprendre, Wellan retourna d’abord auprès de son propre groupe resté à la frontière du Royaume de Perle. Il fut chaudement reçu par ses compagnons, mais essuya des reproches de la part de son épouse, lorsqu’elle remarqua les cicatrices dans ses mains. Pour éviter de raconter son aventure plusieurs fois, le chef demanda d’abord à toute son armée de se rassembler au pays des Elfes, où les troupes de Jasson et de Falcon étaient déjà stationnées.
Les Chevaliers se retrouvèrent avec plaisir. Ils échangèrent les poignées de main de l’Ordre et certains s’étreignirent avec bonheur. Les archers Elfes, qui s’étaient fait des amis dans leurs rangs, leur souhaitèrent aussi la bienvenue. Wellan les observa un moment. Il était fier de son armée. Soudain, Lassa le vit froncer les sourcils.
— Où est Ariane ? s’alarma son maître.
Jasson s’approcha de lui pour lui expliquer qu’il lui avait donné la permission d’aller rendre un dernier hommage à son époux. La tristesse voila le visage du grand Chevalier. La scène de la mort de Kardey rejoua dans son esprit.
L’Opalien, qui ne possédait aucun pouvoir magique, s’était courageusement battu à ses côtés pendant de nombreuses années.
— Dois-je la rappeler ? s’enquit Jasson.
— Non, décida Wellan, le cœur lourd. Qu’elle prenne tout le temps dont elle a besoin pour lui dire au revoir.
Wellan attendit que ses soldats soient assis sur la plaine, en retrait de la rivière Mardall. Il constata avec satisfaction que Wanda et Ambre avaient réintégré les rangs. Il se posta au centre du groupe, là où tous pourraient l’entendre. Il leur montra ses mains et leur expliqua à quoi servaient les spirales. Kira baissa les yeux sur ses paumes mauves en pensant que ces armes lui auraient été plus utiles à elle qu’à lui.
— Le Château d’Émeraude abrite désormais un soldat de grand renom, annonça le chef.
Les guerriers s’en montrèrent fort surpris, car, de leur avis, leur armée était composée des meilleurs combattants du monde.
— Il s’agit du Roi Hadrian d’Argent, révéla Wellan.
— Quoi ? s’exclama involontairement Bergeau.
— Je pensais que le Magicien de Cristal avait mis fin à ce sortilège en confisquant l’anneau de Kira, commenta Jasson.
— Il a été ressuscité, expliqua Wellan.
— Ce n’est pas ma faute ! protesta Kira, avant qu’on ne l’accuse. Je n’ai rien fait !
— Tu n’es pas responsable de ce miracle, la rassura le grand Chevalier.
— Alors, qui est-ce ? demanda Dempsey.
Avant de leur parler de sa rencontre avec le plus illustre de tous les Immortels, Wellan leur fit promettre de ne jamais révéler sa présence sur Enkidiev. Les Chevaliers d’Émeraude étaient des gens d’honneur. Ils placèrent le poing sur leur poitrine et jurèrent de garder le silence, aussitôt imités par leurs Écuyers.
— Notre roi a découvert la cachette des bracelets de foudre dans un livre de la bibliothèque du Roi Hamil, commença Wellan.
— Tu ne réponds pas à sa question, lui fit remarquer Falcon.
— J’y arrive.
— Allez, parle, le pressa Chloé. Nous mourons tous d’envie de savoir de qui il s’agit.
— Un peu de patience, recommanda Wellan. Alors, voilà. Onyx nous a emmenés, Hadrian, Lassa et moi, dans les forêts de Turquoise. C’est dans une clairière protégée que nous avons trouvé Danalieth.
Sage faillit s’évanouir en se rappelant sa dernière incursion dans le passé. Il avait vu cet Immortel créer la pierre qu’il portait au cou. Kira aurait voulu qu’il la rende à sa mère, mais Sage avait été si heureux de revoir Jahonne qu’il avait oublié de le faire. La larme cristalline pendait toujours à sa cordelette, sous sa tunique.
— Je n’ai jamais vraiment prêté attention à mes leçons d’histoire, répliqua Nogait, mais est-ce que cette créature divine n’a pas été détruite il y a très, très longtemps ?
— Sa mère a réussi à le sauver et elle l’a caché sur Enkidiev.
— Pourquoi ne ressentons-nous pas sa présence ? s’inquiéta Chloé.
— Parce qu’il nous la masque, l’éclaira Wellan. D’ailleurs, pour que personne ne trouve cet endroit secret, il crée des illusions dans les bois qui l’entourent.
— Es-tu en train de me dire que les habitants de Turquoise se barricadent dans leurs maisons la nuit pour se protéger de simples mirages ? se fâcha Falcon.
— Je crains que oui.
— Pauvre Falcon, le taquina Nogait. Maintenant, tu vas devoir trouver une autre raison d’avoir peur des faucons qui rapportent des lapins en pleine nuit.
Tout le monde éclata de rire, ce qui finit par dérider le ressortissant Turquais. Kira ne faisait plus attention à ce qui se passait autour d’elle.
— Pourquoi est-ce à toi qu’on a offert ces spirales ? demanda la Sholienne, au milieu de la rigolade.
Wellan la dévisagea pendant un moment, cherchant les mots qui ne la blesseraient pas. Il savait bien que c’était à elle que les dieux avaient confié le sauvetage du continent.
— J’ignore pourquoi Onyx m’a choisi, avoua-t-il, finalement. Mais je n’aurais emmené aucun de vous dans ce volcan, c’est certain.
— Moi, je voudrais savoir si Danalieth à l'intention de nous appuyer, s’en mêla Bailey.
— Il a toujours ses pouvoirs, non ? enchaîna Volpel.
— Il en a récupéré une partie tout récemment, affirma Wellan.
— Pourquoi ne l’as-tu pas ramené ici ? s’étonna Kevin.
— Il ne veut pas participer à cette guerre. Il attirerait sur lui et sur sa mère les foudres de Parandar s’il utilisait ouvertement sa magie.
— Donc, il préfère que nous nous fassions massacrer plutôt que de risquer sa vie pour nous, maugréa Bergeau.
— Il a d’autres façons de nous venir en aide.
— Comme ? le bouscula Jasson.
— Il se sert de sa fille. C’est elle qui a sauvé ta famille et celle de Bergeau lorsque les insectes ont attaqué Émeraude. Elle a aussi prévenu le Prince Humey que Santo avait besoin d’aide sur la berge de la rivière et elle a guidé Jahonne jusqu’à nous.
— Les dieux ont choisi celui qui devait guider les Chevaliers d’Émeraude, l’appuya Santo. Il s’agit d’Abnar. Au lieu de reprocher à Danalieth de ne pas nous soutenir, nous devrions plutôt partir à la recherche du Magicien de Cristal.
— Et nous en aurons amplement le temps, ajouta Wellan. Danalieth nous a dit que les larves mettaient de trois à quatre ans avant de sortir de terre.
— Qu’allons-nous faire pendant tout ce temps ? s’inquiéta Chloé.
— Nos chevaux-dragons semblent capables de détecter les insectes dans le sol, mais parfois, ils sont enfouis trop profondément pour que nous puissions les atteindre, expliqua Kevin.
— Malheureusement, il n’y a que trois de ces bêtes renifleuses et des centaines de larves, déplora Sage.
— Kira en a tout un troupeau, leur rappela Nogait.
— Il s’agit de juments sauvages, protesta Kira.
— Tu as trois ans pour leur apprendre à trouver les futurs guerriers de l’empereur.
— Ce ne sont pas des chevaux normaux, Nogait, expliqua la Sholienne. On ne leur fait pas exécuter des tours comme à des animaux domestiques.
— Pourtant, Liam y est arrivé avec sa pouliche, souligna Jasson.
— Il faut qu’un lien se crée entre la bête et l’homme pour arriver à un tel résultat, s’obstina Kira.
— Je vous en prie, trancha Wellan. Nous discuterons de toutes ces possibilités plus tard. Pour l’instant, je suggère que nous rentrions à Émeraude.
— Nous pourrions surveiller l’océan pour vous, offrit Katas.
— Et vous alerter si nous percevons quelque mouvement que ce soit ; ajouta Djen.
— Ce serait apprécié, les remercia Wellan.
Les soldats mangèrent d’abord le repas préparé par les Elfes avant de repartir chez eux. Nogait était assis près de Kevin. Ils exploraient ensemble l’idée de dresser les juments noires de Kira afin que tous les Chevaliers puissent les utiliser. Un Elfe s’accroupit alors près de Nogait.
— Je suis Oliek, du clan des Enalds, se présenta-t-il.
Les Chevaliers ne connaissaient pas les différentes tribus de ce peuple et encore moins les territoires où elles habitaient. Le jeune homme aux longs cheveux blonds capta leur ignorance.
— C’est dans nos forêts que Danalieth a choisi de vivre, jadis, ajouta Oliek.
— Je suis enchanté de faire ta connaissance, trouva à répondre le soldat. Je suis Nogait et voici Kevin. Ces deux petits garnements sont nos Écuyers Dianjin et Liam.
Ce dernier examinait leur visiteur avec beaucoup d’intérêt. Son visage était différent de ceux des Elfes qu’il connaissait. Liam étudia attentivement ses traits et remarqua finalement que ses yeux étaient bleus ! Évidemment, son maître ne pouvait pas faire la même constatation, puisqu’il portait son bandeau sur les yeux.
— Je viens tout juste de me joindre aux archers de Katas et il m’a dit que tu avais épousé notre princesse, déclara Oliek.
— C’est exact, affirma Nogait, sur ses gardes.
— Je l’ai connue lorsque nous étions enfants, l’informa l’Elfe, le visage rayonnant.
« Au moins, ce sont de bons souvenirs », s’encouragea le Chevalier.
— J’ai en ma possession un présent qu’elle adorerait recevoir.
« Pas un autre objet qui va tenter de me tuer », s’alarma Nogait. Il n’eut pas le temps de s’opposer à l’initiative de l’Elfe. Oliek déposa une courte chaînette en or dans le creux de sa main.
— Ces parures de cheville sont habituellement réservées aux femmes de mon clan, expliqua l’Elfe. J’ai tout de même réussi à en obtenir une. Offre-la à Amayelle et elle sera folle de joie.
— Est-ce que c’est magique ? s’énerva Nogait.
— Je ne le crois pas.
— Que veux-tu en retour ? s’interposa Kevin.
— Seulement votre respect.
Oliek inclina la tête et retourna auprès des archers. Nogait contempla la magnifique pièce d’orfèvrerie. Chaque anneau représentait une délicate feuille d’arbre et était attaché au suivant par une petite étoile, en or elle aussi.
— C’est vraiment beau ! ne put s’empêcher de s’exclamer Liam.
— La dernière fois qu’un Elfe m’a offert un bijou, j’ai failli en mourir, maugréa Nogait.
Dianjin lui suggéra de le faire évaluer par une personne possédant une grande sensibilité au surnaturel. Le Chevalier promena son regard sur ses compagnons et s’arrêta sur Chloé.
— Je reviens tout de suite, annonça-t-il.
Sa sœur d’armes accepta avec plaisir de sonder l’objet, car c’était une de ses spécialités. Un large sourire fendit son visage.
— Il a été façonné avec beaucoup d’amour, décela-t-elle.
— Par un Elfe épris de ma femme ? s’inquiéta Nogait.
— Non… Par Danalieth lui-même. Je pense qu’il avait l’intention de l’offrir à sa belle, mais qu’il n’en a pas eu le temps. Je ne sens pas les vibrations d’une dame dans cet objet.
Soulagé, Nogait l’embrassa sur la joue, en guise de remerciement.